Jeudi 11 janvier 2024.

Si c’était à refaire, je commencerai par la culture, aurait dit l’un des pères fondateurs de l’Europe, Jean Monnet. En 2024, sur un continent qui abrite près de 448,4 millions d’habitants répartis sur 27 Etats membres, le commencement de notre Europe serait-il les politiques de solidarités ?

Si les politiques sociales ou médico-sociales ne sont pas une compétence propre de l’Union européenne[1], les institutions européennes (la Commission, le Conseil et le Parlement) ont émis de nombreuses recommandations dans le champ social pour les Etats membres, comme la garantie européenne pour l’enfance adoptée en juin 2021, et dont le déploiement a reposé sur des fonds structurels.

Cette garantie européenne, qui concerne à l’échelle des 27 près de 18 millions d’enfants en situation de vulnérabilité a inspiré bon nombre de législations ou de réformes engagées dans les pays européens, dont chacun des gouvernements nationaux doit désigner un représentant et présenter des plans d’actions spécifiques.

Service public de la petite enfance, généralisation du parcours de santé protégée, actions en faveur d’une alimentation équilibrée à travers les repas à 1 euro instaurés dans les cantines scolaires dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, autant de mesures mises en place en France, qui répondent aux actions prioritaires définis par la garantie européenne.

En matière de lutte contre la pauvreté et de soutien auprès des personnes vulnérables, l’Union européenne agit directement par le biais de ses instruments financiers comme le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) dont les crédits représentent plus de 647 millions d’euros pour la France (sur la période 2021-2027) dédiés à l’aide alimentaire

L’Europe est donc non seulement une source de progrès social et d’actions en faveur des publics vulnérables à l’échelle nationale, elle est également une solution pour répondre aux défis communs des Etats membres dans le champ des solidarités.

Construire cette réponse commune à l’échelle européenne, suppose d’identifier les déterminants communs, qui impactent nos politiques sociales à l’échelle nationale.

Deux exemples de ces déterminants que nous partageons avec nos voisins : l’impact des migrations extra-européennes sur les politiques de solidarités et le changement climatique dont nous commençons à voir les effets sur l’augmentation des vulnérabilités et la conduite de nos politiques sociales (comme l’ont montré les récentes inondations en août 2023 en Slovénie, ou plus proche de nous dans le Pas de Calais en octobre 2023 et janvier 2024).


[1] A noter que sur cette question de la compétence à agir de l’Union européenne, certaines conceptions défendues au Parlement par des eurodéputés, comme Dragos PISLARU du groupe RENEW, défendent que dès lors qu’elles contribuent à renforcer la cohésion et le marché intérieur, les politiques sociales s’inscrivent bien dans le champ d’intervention propre de l’Union. De telle sorte que renforcer la cohésion sociale a ainsi un impact direct sur la robustesse du Marché Intérieur qui est une compétence de l’UE.  « Social Investment is about the labour market, Social services are investment in people and this is a competence of the EU », comme l’a exprimé l’eurodéputé roumain Dragos PISLARU lors d’un séminaire organisé par l’European Social Network en novembre à Bruxelles.

Dans un article publié en avril 2021 dans la revue TELOS[1], à l’occasion du sommet social européen de Porto, Julien DAMON proposait d’inscrire les politiques d’hébergement d’urgence à l’ordre du jour de la Présidence française du Conseil européen au 1er semestre 2022, soulignant que « 1% de la population européenne, déclarent avoir été un jour obligées de passer au moins une nuit dans des hébergements d’urgence ou temporaires, ou dans des installations non destinées à l’habitation »

Comme le démontrait Julien DAMON, le sans-abrisme qui concerne les grandes métropoles européennes de Barcelone, à Berlin, en passant par Stockholm, Rome ou Athènes, s’explique par la gestion européenne des flux migratoires, nécessitant de construire un cadre de réponse commun et un pilotage qui ne peut être laissée à la seule charge des autorités locales ou nationales.

Le même constat vaut pour la prise en charge des mineurs non accompagnés qui représenterait entre 15 et 20% des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en France, une proportion qui varie selon le niveau d’exposition aux flux migratoires des Etats européens, même si certains Etats de transit (comme les Pays des Balkans, ou d’Europe de l’Est, Roumanie, Bulgarie…) sont aussi concernés par l’arrivée de jeunes migrants (parfois instrumentalisés à des fins géopolitiques par des Etats tiers, comme la Russie à la frontière avec la Finlande en novembre 2023).

Il serait à ce titre intéressant de mener une étude comparative des flux constatés entre les différents pays membres de l’Union européenne, en lien avec les données remontées dans le cadre d’EUROSTAT, auquel est relié notre appareil statistique national (DREES et INSEE).

Comme pour l’ensemble des flux migratoires, les constats dressés montrent qu’une majorité de ces jeunes sont issus des mêmes zones géographiques quel que soit l’Etat européen qui les accueille (Pakistan, Bangladesh, Afghanistan, Gambie….) et ne sont donc non plus liées aux histoires coloniales de chacun des Etats membres. Ayant en commun de fuir des Etats en guerre, ou des dictatures sanglantes bafouant les droits de l’homme ou la protection des minorités, les jeunes, mineurs ou majeurs pris en charge en France par les départements, relèvent autant du champ de la protection de l’enfance, que de celui de l’asile ou de l’intégration.

Des politiques d’immigrations qui relèvent bien des compétences des institutions européennes (Parlement, Commission et Conseil, telles que définies à l’article 79 et 80 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Partant de ce contexte européen partagé, le Ministère de la Justice a réalisé en juillet 2023 une étude, qui permet d’analyser comparativement les différentes modalités de prise en charge au sein de l’Union européenne. Cette étude souligne quelques constats/analyses dont la France pourrait s’inspirer :

  • L’évaluation de la minorité relève majoritairement de services de l’Etat ou d’agence en charge de la migration et de l’asile (Agence suédoise des migrations par exemple). Sur ce point, la singularité du système français et sa complexité entre acteurs (Etat, justice, département) interroge.
  • L’accompagnement est assuré dans le cadre de mesure prise par le juge des tutelles (et pas systématiquement le juge pour enfants).
  • Les tutelles peuvent être des entités publiques (services de protection de l’enfance mais pas exclusivement) ou des entités associatives (type ONG..)

[1] https://www.telos-eu.com/fr/societe/europe-sociale-et-si-on-soccupait-des-sans-abri.html

  • Dans certains pays, une distinction est faite à la majorité entre les MNA ayant obtenu un permis de séjour au titre de l’asile et ceux dont la demande de protection internationale a été rejetée ou est encore en cours. Ceux dont la situation a été régularisée continuent à être pris en charge par les services sociaux et accompagnés dans leur intégration sur le territoire. Les majeurs dont la demande d’asile a été rejetée et qui font l’objet d’un ordre d’expulsion ne sont pas éligibles à un hébergement ou un soutien financier, la Suède considérant qu’ils doivent regagner leur pays d’origine.
  • La régularisation administrative s’inscrit dans le cadre du droit au séjour et de l’asile avec pour certains Etats, comme la Suède, le fait que la demande d’asile soit l’unique voie possible.

L’Union européenne est donc non seulement la seule échelle pour répondre ensemble à ces enjeux, elle peut aussi être un cadre de convergence pour faire évoluer nos politiques sociales et les renforcer dans leur capacité de résilience.

Enfin, l’Union européenne par son influence à peser à l’échelle mondiale pour répondre à des transformations systémiques, telle que le changement climatique, peut apporter à nos politiques de solidarités les ressources financières et d’ingénierie nécessaires, à travers ces programmes et fonds structurels, à l’adaptation de nos sociétés à la transformation écologique.

Les crises climatiques qui ont touché l’ensemble de notre continent durant l’été et l’automne 2023, ont montré que les autorités locales ou nationales n’étaient plus en capacité d’apporter elles seules les réponses aux impacts sur leurs communautés : habitants forcés d’être définitivement relogés, ne pouvant plus vivre dans leur quartier, ou leur village, foyers pour personnes âgées nécessitant d’être totalement rénovés pour affronter des épisodes caniculaires récurrents, autant d’investissements nécessaires qui ne peuvent trouver des leviers qu’à travers des fonds structurels et instruments financiers construits par les institutions européennes pour faire face à ces défis.

Construire cette Europe des Solidarités, en s’engageant aux côtés de nos homologues européens, partageant avec eux les bonnes pratiques, analysant, évaluant les réponses apportées de part et d’autre des frontières, c’est ce que porte l’ANDASS au sein du réseau social européen (European Social Network/ESN), association crée en 1999, et dont notre association est un des membres fondateurs.

Perte d’autonomie, impact social de la transition digitale sur l’emploi et la formation, les migrations extra-européennes et l’insertion de réfugiés, la prévention auprès des jeunes enfants…, contribuer au sein de l’ESN c’est mesurer à quel point nous sommes confrontés aux mêmes défis communs que nous travaillons dans une mairie en Suède, dans une région en Espagne, ou dans un département en France.

C’est en partageant ces mêmes enjeux que nous pouvons apporter des réponses et soutenir les professionnels appartenant aux métiers du lien et du prendre soin dont le rôle est essentiel pour assurer la cohésion territoriale à l’échelle de notre Europe commune. En ce sens, les travaux menés en France autour du Livre Blanc du HCTS (dont l’ANDASS est partie prenante) pourraient trouver toute leur place dans cette visibilité du travail social sur la scène européenne. Au-delà du réseau que constitue l’ESN, ses travaux portant récemment sur la désinstitutionalisation[1] ou le décloisonnement des parcours permettent de construire des réponses nouvelles dans chacun des systèmes nationaux d’action ou de


[1] https://www.esn-eu.org/news/towards-de-institutionalisation-strategy

Ainsi, dans le domaine de la protection de l’enfance, où nos voisins européens (Irlande, pays scandinaves, où l’accueil familial représente près de 80% des accompagnements) ont renforcé la prévention et le soutien à la parentalité, réinterrogeant les pratiques du travail social selon une approche centrée sur la communauté de vie et le soutien à domicile, et non plus uniquement selon des prismes administratifs adossés à des cadres d’emploi rigides, qui cloisonnent et enferment les métiers.

Mais l’ANDASS ne peut être la seule association professionnelle en France, compétente dans le champ social et médico-social à contribuer à ce réseau. Et ce d’autant que les principales associations du champ social et médico-social, telle que SOS Village d’enfant, la Croix Rouge, ATD Quart Monde sont par comparaison solidement structurées et organisées pour agir à l’échelle européenne et disposer de réseaux transnationaux.

Toute collectivité territoriale, agence de l’Etat français, ou groupement de coopération publique, peut et doit adhérer largement si la France (Etat consacrant 33% de son PIB à la protection sociale) veut pouvoir apporter une pierre suffisamment représentative à l’édifice commun que nous tâchons de construire avec nos voisins européens.

Il reste encore un peu plus de 6 mois avant la Conférence annuelle des services sociaux européens organisée par l’European Social Network du 26 au 28 juin 2024 à Anvers[1], dont le thème portera sur la co-construction des futurs services publics sociaux avec les publics. Une conférence à laquelle l’ANDASS apportera sa contribution dans le cadre des ateliers d’échange et de rencontre.

5 mois pour que nos services publics sociaux constituent une délégation importante de participants, œuvrant tous les jours pour la Solidarités en France, mais aussi au sein de notre Europe, celle qui, uni dans la diversité, nous rend plus fort ensemble.

Rendez-vous donc à Anvers en juin prochain* !

*Le lien pour s’inscrire : https://essc-eu.org/

*Et pour adhérer à l’ESN : https://www.esn-eu.org/membership/become-member

Arnaud LOPEZ

Membre du Board de l’ESN

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L’ANDASS (Association Nationale des Directeurs d’Action Sociale et de Santé) est une  association professionnelle. Son conseil d’administration représente plus d’un tiers des départements. L’ANDASS porte l’ambition du développement social, du travail collectif, de l’accompagnement global des personnes dans leur parcours vers l’autonomie.

L’ANDASS favorise les partenariats d’action et les coopérations. Pour l’ANDASS, les dépenses sociales ne constituent pas un simple coût mais un investissement  dans le développement humain.

L’ANDASS appelle à un choc de simplification afin de libérer le pouvoir d’agir des élus, des citoyens, des professionnels, des bénévoles et des  organisations afin de s’orienter vers une société plus inclusive et citoyenne.


[1] https://essc-eu.org/

Estimant que les politiques de solidarités doivent irriguer et se nourrir de l’ensemble des politiques, l’ANDASS  participe, par ses analyses et ses propositions concrètes issues de la diversité des territoires, à la modernisation d’un service public de la vie quotidienne, proche et de qualité.

Pour les prochaines années, elle souhaite construire avec ses nombreux partenaires « Une action publique sobre et de qualité au service des personnes » et souhaite écologiser le plus possible les politiques sociales.

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