L’exemple de l’action sociale

Il est urgent de repenser les modalités de production des politiques publiques dans le champ social.

Parce que la réduction des inégalités sociales et territoriales demeure un enjeu essentiel du pacte républicain,

Parce que notre système social s’est construit sur des empilements successifs de mesures sans ne jamais en supprimer aucune,

Parce qu’une grande majorité de Françaises et de Français considèrent que le niveau de la fiscalité est trop élevé[1],

Parce qu’aucun gouvernement ne peut décemment s’attaquer à une remise en cause des dépenses sociales sans prendre le risque de rompre un filet de sécurité destiné aux plus vulnérables,

Parce le niveau de la dépense de la protection sociale pourrait re-questionner le modèle d’équilibre socio-économique à la française,

Parce que les efforts pour rendre le secteur social lisible et accessible se heurtent à l’enchevêtrement des compétences,

Parce que, de par leur complexité et la prolifération de normes et de règlementations, les politiques de solidarité deviennent de moins en moins un enjeu politique au profit d’une technicisation accrue et normative,

Parce que les 37,5 milliards annuels (source ODAS, année 2017) que coûte l’action sociale des départements sur les 747 milliards de la protection sociale (source DREES) suscitent de réelles tensions entre État et collectivités et semblent inhiber les projets d’évolution structurelle voire institutionnelle de tout ou partie (article 90 de la loi Notre) du champ des Solidarités,

Parce que la question du Grand Rhône, celle du Grand Paris et plus largement celle des Métropoles pourraient, sous réserve d’analyse des évolutions à venir et d’évaluations partagées, tracer la voie de nouvelles options de gouvernance et d’organisation, tout en questionnant le sort des territoires non couverts et ders populations qui y habitent;

Parce que malgré des décennies d’efforts et des budgets sociaux conséquents, 8,8 millions de personnes dont 20% des enfants de notre pays vivent dans des familles sous le seuil de pauvreté,

L’ANDASS considère qu’il est temps de réinterroger les modalités de production des politiques publiques dans le champ social.

L’ANDASS, en collaboration avec l’Institut de la Gouvernance Territoriale et de la Décentralisation, et en associant de très nombreux partenaires à travers l’animation de groupes thématiques, travaille à l’élaboration de recommandations pour simplifier le système social français et le rendre plus acceptable dans ses équilibres coût -avantage, plus compatible avec les enjeux de citoyenneté, plus sobre dans sa mise en œuvre, et donc plus efficace.

Partant de l’idée que le quotidien est stratégique, l’ANDASS, qui promeut une approche pragmatique, veut ainsi contribuer à l’indispensable débat national sur l’évolution de l’action publique en mettant en tension des idées et des propositions visant à rénover… dans la sobriété.

Ce travail se veut une matière vivante qui ne demande qu’à être enrichie et le présent document une entrée en matière qui aura vocation à renvoyer à des fiches thématiques de recommandations détaillées.

Il s’agit donc d’un appel très ouvert à discussion et à contribution. Le mode de construction de cette pensée collective illustre l’esprit qui préside au fond sur l’élaboration des politiques publiques.

Il s’agit donc de discuter le cadrage général sur la notion de sobriété proposé par l’IGTD afin qu’il puisse être partagé. Il en est de même des principes proposés par l’ANDASS. La journée d’actualité du 15 juin 2018 permet une première étape d’enrichissement et de controverses destinée à valider la démarche et à l’enrichir.

Ces travaux seront poursuivis par des séminaires avec le conseil d’administration de l’ANDASS et les parties prenantes intéressées. Ils porteront entre autres sur l’articulation entre les principes et l’action et pourront être enrichis de propositions d’engagements concernant la transition énergétique, la responsabilité sociale des entreprises et des administrations et une approche plus écologique des ressources disponibles.

La sobriété, maître-mot de la rénovation de l’action sociale.

Réfléchir sur la notion de sobriété s’avère déterminant pour analyser les évolutions possibles en termes de production et de mise en œuvre des politiques publiques dans le champ social. 

Dans cette optique, le schéma ci-dessous, issu d’un groupe de travail interne à l’ANDASS, illustre le caractère intégratif de la notion.

Mais il est essentiel d’aborder la notion de sobriété de manière plus générale.

Les éléments suivants sont issus d’une contribution de Laurence Lemouzy, directrice scientifique de l’Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation.

Préambule : ce que veut être et ne pas être ce travail de réflexion sur la notion de sobriété dans l’action publique

La notion de sobriété ne doit pas être comprise pour servir une vision étriquée de l’action publique. Elle est également à l’opposé d’une communication bling bling, indispensable pour habiller l’inconsistance.

La sobriété incarne la dimension sacrée du politique. En ce sens, ce champ de recherche et de débat porté par l’IGTD est un outil de réhabilitation de l’action politique au-delà même des politiques sociales[2].

Une richesse sémantique

Il peut être déroutant d’associer sobriété et action publique, notamment si l’on tente d’examiner cette alliance au prisme des politiques de solidarité. Pour ouvrir un chemin de réflexion, un détour lexical s’avère nécessaire.

Il existe peu de mots qui, lorsqu’on les prononce, font penser à leur contraire. C’est le cas de la sobriété qui entraîne avec elle, à l’esprit, son antonyme : l’ébriété. Cette remarque permet de poser une première question : l’action publique connaîtrait-elle un état d’ébriété ? Les acteurs publics auraient-ils la tête qui tourne face à un « trop plein » ? Si oui, lequel et pourquoi ?

La sobriété a pour synonyme les termes de modération, de mesure et de discrétion. Son origine étymologique (sobrietas) évoque la tempérance et la prudence (prudentia), cette dernière nous invitant à la prévoyance, à la prévision, à la compétence et à la sagesse.

Appliqués à l’action publique, ces espaces lexicaux renvoient à 4 familles sémantiques :

  • La 1ère famille relie la notion de sobriété à celle d’essentiel. Pour le dire autrement, faire preuve de sobriété signifierait aller à l’essentiel, au principe (i-e à ce qui est premier, à ce qui compte réellement). Le mouvement qui est induit est celui de distinguer l’utile de l’accessoire par l’énonciation de choix.
  • La 2ème famille associe la sobriété à la simplicité, à la lisibilité et à l’intelligibilité. Est sobre, ce qui s’énonce aisément et donc se comprend. En arrière-plan, se décèle la lutte contre la complexité et la recherche d’une dignité humaine.
  • La 3ème famille inspire l’agilité. Dépouillé des artifices, l’Homme sobre serait celui qui retrouve une certaine légèreté favorable à la prise de risque, à l’expérimentation, à l’imagination et à l’innovation.
  • Enfin, la 4ème famille de sens nous relie à la solidité : solidité des liens, des normes, de l’investissement humain et durabilité des missions.

De l’essentiel à l’intelligible

Avant de revenir sur les axes de réflexions suscitées par cet univers sémantique  (i-e essentiel, simplicité, agilité, solidité), il convient de cerner quels usages la sphère publique et politique a fait jusqu’à maintenant du terme de sobriété.

Ce terme a particulièrement émergé dans le vocable écologique donnant lieu à l’expression de « sobriété énergétique »[3], une sobriété qui se veut tout autant collective qu’individuelle. Dans cette acceptation, la sobriété se décline en trois dimensions :

  • le juste dimensionnement (ne devrions-nous pas nous ajuster nos outils au service qu’ils sont censés rendre ?) ;
  • le juste usage (ne faut-il pas abandonner les outils qui ne servent à rien ?)
  • et le partage par mutualisation et coopération (pour éviter le gaspillage, ne peut-on pas partager ?)

Ces trois facettes permettent d’envisager la sobriété d’une façon non austère au sens où l’exercice de la sobriété libèrerait d’un certain nombre de contraintes pour nous entrainer vers davantage de simplicité.

L’action publique est en recherche de simplicité (en langage technocratique, il est dit « simplification »). Encore ne faut-il ne pas sous-estimer le fait que la simplicité, ce n’est pas si simple. Une lapalissade que Léonard de Vinci a dite en d’autres mots : « la simplicité est la sophistication extrême »… La simplicité dans le domaine de l’action publique renvoie essentiellement à la qualité de ce qui est facile à comprendre, au caractère de ce qui est facilement réalisable et à la qualité de ce qui est dépouillé d’éléments non indispensables. On retrouve ici l’alliance des deux premières familles de sens : l’essentiel et l’intelligible.

Un pas de côté pour contourner les routines par l’imagination

La recherche de l’essentiel a partie liée avec les injonctions adressées aux acteurs publics de rechercher l’efficacité, de faire des économies, de réduire les normes encombrantes. Pourtant, la sobriété de l’action publique n’est pas équivalente à l’efficacité de l’action publique.

Il ne s’agit pas à travers la sobriété de réduire l’action publique ou les services publics mais d’imaginer un ensemble d’actions qui vise à faire décroître (voire à faire disparaître) des usages, des systèmes, des comportements ou des organisations qui ne répondent plus à l’essentiel de l’action publique. La sobriété réévalue en ce sens les usages et les besoins mais aussi les imaginaires, la « res publica » d’une société et ses formes d’organisations collectives et individuelles.

A titre d’exemple, en juin 2016, la Biennale d’architecture de Venise avait placé la notion de sobriété au centre de ses réflexions et présenté « des projets discrets dont l’utilité sociale est évidente et immédiate ; des initiatives dont l’usage plus que la forme, est mis en avant, des architectes et des maître d’ouvrage au service de l’intérêt du plus grand nombre plutôt que du marché ». A l’interrogation « à quoi sert l’architecture ? », Alejandri Aravena, lauréat du prix Pritzker[4] fit cette réponse tout simple : « à la construction réfléchie des espaces où les gens vivent ». « A quoi sert l’action publique ? », la sobriété nous invite à y répondre tout aussi simplement sans doute…

Une invitation au partage et à la subsidiarité

La sobriété induit de l’agilité pour séparer le bon grain de l’ivraie, pour prendre la voie du partage (du collaboratif) et de l’innovation. Le chemin est escarpé, notamment dans le domaine des solidarités.

A ce stade, quelques remarques : l’État n’a pas véritablement permis aux collectivités territoriales de développer une culture du partage, le pouvoir central ayant, ces dernières années, mis en compétition les territoires entre eux au nom de l’attractivité. C’est aujourd’hui difficile de leur demander de collaborer. Une approche collaborative des politiques publiques y compris entre l’Etat et les collectivités territoriales est en lutte avec un imaginaire public et politique où chacun défend sa « petite patrie » et ses intérêts catégoriels. C’est alors d’agilité mentale et culturelle dont il est question à travers la sobriété invitant au partage des rôles et à la subsidiarité.

Enfin, sur le registre de l’innovation, le passage des politiques sociales à l‘innovation sociale. L’innovation sociale n’est pas sans modifier le rapport aux lois sociales et nécessite un mode plus participatif des bénéficiaires alors que le modèle social français s’est plutôt construit sur le droit à une prestation. Comment par exemple construire des logements dans demander aux gens qui vont y vivre ce dont ils ont besoin ? Sans doute, est-ce là un appel à l’agilité des acteurs publics auxquels il conviendrait d’accorder le droit à tâtonner, à expérimenter des prototypes, bref à prendre des risques.

En guise de conclusion à ce bref éclairage, sans doute faut-il citer le livre IV de La république de Platon, au moment où Socrate et Glaucos tentent de définir les 4 vertus cardinales de la République : la sagesse, le courage, la justice… et la tempérance (la sobriété, pourrions-nous dire aujourd’hui) : 

Socrate : Ainsi, tu vois que nous devinions juste tout à l’heure, quand nous disions que la tempérance ressemble à une harmonie.

Glaucos   Pourquoi donc ?

Socrate : Parce qu’il n’en est pas d’elle comme du courage et de la sagesse qui, résidant respectivement dans une partie de la cité, rendent cette dernière courageuse et sage. La tempérance n’agit pas ainsi : répandue dans l’ensemble de l’État, elle met à l’unisson de l’octave les plus faibles, les plus forts et les intermédiaires, sous le rapport de la sagesse, si tu veux, de la force, si tu veux encore, du nombre, des richesses, ou de toute autre chose semblable. Aussi pouvons-nous dire avec très grande raison que la tempérance consiste en cette concorde, harmonie naturelle entre le supérieur et l’inférieur sur le point de savoir qui doit commander, et dans la cité et dans l’individu.

Les enjeux correspondants à la volonté de rénover dans la sobriété peuvent s’articuler autour des trois axes suivants :

  • Répartition des compétences entre collectivités, délégation et décentralisation ;
  • Parcours et qualité du service rendu à l’usager ;
  • Mobilisation de la société civile et participation des usagers.

Gouvernance , organisation, délégations, responsabilités, évaluation comment concilier égalité et diversité.

La question des évolutions territoriales et du « mécano institutionnel » ne peut éviter celle de l’échelle la plus pertinente pour piloter l’action sociale et celle pour agir.

Il s’agit d’aborder, à l’aune des enjeux nationaux et locaux de sobriété et de simplicité de l’action publique, les questions relatives à la définition du bon niveau d’exercice des compétences sociales, au rôle et à l’organisation de l’État, aux modalités de contractualisation, à la délégation et à la confiance entre collectivités, à la décentralisation, en tirant notamment le bilan de plus de 30 ans de territorialisation de l’action sociale. 

Principe n°1 :   Définir le bon niveau d’exercice des compétences sociales et leur contenu.

Si l’avenir était au repositionnement et à la redistribution des compétences sociales, l’ANDASS réaffirme qu’atomisation, morcellement et dispersion ne sauraient produire de modèle d’action publique performante sur le champ social au sens de sobriété et d’efficacité. Le Département a prouvé l’intérêt d’une échelle territoriale pertinente de réduction des inégalités. Dans l’hypothèse de scenarii de refondation de l’action sociale, l’ANDASS privilégierait un transfert de l’ensemble des compétences sociales à un niveau a minima égal au département.

L’exercice de cette compétence globale pourrait être toutefois assortie d’un pouvoir de délégation consentie attribuant au délégataire une capacité à exercer de droit tout ou partie des compétences sociales par convention.

Considérant que bien que décentralisées, les compétences sociales continuent d’impliquer l’État, un contrat tripartite (collectivité délégante, collectivité délégataire, État) serait établi.

Ce contrat, permettrait de clarifier les rôles, en particulier entre les fonctions d’animation territoriale exercée au niveau du bassin de vie le plus cohérent (communal, intercommunal ou départemental) et la fonction d’ingénierie territoriale attendue de la collectivité ou de l’État délégataire.

Principe n°2 :   Favoriser la délégation entre institutions en définissant une gouvernance spécifique.

La délégation entre institutions constitue un levier essentiel de la simplification.

Il convient de définir le bon niveau de délégation dans le champ éducatif, social (dont la grande exclusion), médico-social et de santé notamment pour permettre à un acteur institutionnel d’intervenir pour le compte de l’autre en fonction de la règle suivante : qui est le mieux placé pour faire selon le territoire, ses ressources disponibles, sur quelle durée convenue ?

Principe n°3 :   Appliquer le principe de sobriété dans la gouvernance des politiques de solidarité.

Cela implique notamment le fait de ne pas créer d’instances nouvelles (comités ou commissions thématiques propres à chaque stratégie et programmes nationaux ou régionaux) dans le cadre de la mise en œuvre des politiques sociales mais de privilégier l’agilité et l’adaptabilité de celles existantes. En ce sens la simplification normative produite par certains services de l’État passe également par une plus grande marge d’autonomie aux Départements qui assurent souvent la présidence de ces instances.

Principe n°4 :   Achever la décentralisation de l’action sociale.

L’objectif est de poursuivre la décentralisation en réinvestissant dans la confiance des collectivités et en dépassant lobbies et logiques corporatistes qui peuvent constituer un frein aux progrès et simplifications nécessaires. Il ne s’agit pas tant de défendre le pré-carré de tel ou tel niveau de collectivité, mais bien de donner les moyens aux échelons décentralisés d’exercer pleinement leurs compétences en les accompagnant dans leurs efforts de modernisation.

Principe n°5 :   Laisser la liberté aux acteurs institutionnels du choix de la formalisation de leurs projets, en impliquant l’État.

Ce principe peut trouver sa traduction dans l’élaboration d’un projet de territoire, de charte de collaboration ou de co-construction, de protocole de bonnes pratiques.

Il associerait les principaux acteurs (élus, partenaires institutionnels et associatif, les prestataires de l’action publique), mais aussi les usagers et les citoyens du territoire.

Le projet de territoire (quel que soit son nom) s’appuiera  sur le partage d’éléments de  diagnostics et formalisera les attentes de chaque acteur et le socle de ce qui fait sens pour tous.

Principe n°6 :   Apporter une attention particulière à la déclinaison territoriale des lois et règlements comportant une disposition applicable aux collectivités territoriales.

Il s’agit de rompre avec l’idée que l’égal accès au droit et aux services s’appuie sur un modèle unique de mise en œuvre. Un État décentralisé offre une richesse inouïe de diversification des modes de production et d’adaptation de l’offre. Lors de l’élaboration de la loi ou du règlement,  penser prioritairement et chaque fois que possible, « déclinaison territoriale », y compris au stade de l’élaboration.

Cette possibilité va de pair avec le droit à l’expérimentation. Sa mise en œuvre s’appuierait sur les évolutions apportées à l’article 72 de la Constitution, dans la suite du rapport du 09 mai 2018 de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, qui propose de donner aux collectivités plus de liberté pour procéder à des expérimentations et adapter leur action aux réalités locales.

Principe n°7 :   Favoriser l’émergence et la reconnaissance des compétences professionnelles nouvelles en matière d’ingénierie ou d’animation territoriale.

La mise en œuvre de ce principe renvoie à des actions en termes de recrutement et de formation initiale et continue.

Les réseaux de formation devraient proposer davantage de formations ouvertes aux agents des trois fonctions publiques au-delà des actions de formations spécifiques, liées à certains secteurs (les formations communes engagées entre le CNFPT et l’EHESP sur les professionnels médico-sociaux pourraient être ainsi étendues à d’autres filières en mobilisant également les IRTS).

L’ouverture des réseaux de formation constitue un levier pour valoriser et accompagner le développement de compétences transversales, dans un contexte de transformation de l’action publique (cf l’étude de France Stratégie sur les situations de travail, compétences transversales et mobilité entre les métiers, de janvier 2018).

Principe n°8 :   Sensibiliser les associations d’élus aux nouveaux principes de gouvernance et formats de pilotage de projets. 

Cette évolution passe notamment par le dispositif de formation des élus. Comment construire dans la confiance et donner de la visibilité à sa propre action dans un processus de délégation ou de co-construction ? Quels éléments de pilotage ? Quelle évaluation ?

Principe n°9 : Rendre accessible au plus grand nombre (élus, professionnels, citoyens) la connaissance et l’information relatives à l’actualité du champ social.

L’objectif est de rendre les territoires plus intelligents en diffusant et partageant la connaissance disponible (actualités, études, appels à projets ou à manifestation, innovations…), à travers par exemple la circulation et la mise en commun de veilles documentaires et de newsletters.  

Principe n°10 :  Développer les démarches managériales innovantes.

Trouver des modes d’action plus souples suppose une évolution des pratiques managériales vers un management libéré, agile, responsabilisant.

Le management agile met en avant les principes de délégation, d’autonomie, de confiance, de souplesse et de collaboration.

Il intègre l’idée que pour progresser collectivement il faut tester de nouvelles façons de travailler et être capable de se remettre en question.

De ce fait, les laboratoires ou incubateurs consacrés aux démarches managériales innovantes et à leur diffusion doivent être développés et soutenus.  

Principe n°11 :  investir dans l’évaluation des politiques sociales

L’efficacité est la condition première de la sobriété. En matière sociale, l’efficacité des actions réalisées est le plus souvent supposée, mais rarement vérifiée. Ce ne sont pourtant pas les évaluations qui manquent. La quantité des rapports, des bilans, des diagnostics en témoigne mais seule une infime fraction sert véritablement à mesurer l’efficacité des politiques, qui suppose l’introduction d’un contrefactuel.

Consacrer 50 millions d’euros, soit 1 pour mille des dépenses sociales des départements, à un vaste programme d’étude d’impact des politiques sociales, serait un signe fort d’une nouvelle approche en la matière. 

Ce programme pourrait combiner des études longitudinales randomisées et des études économétriques. Il convient d’augmenter fortement le nombre d’études réalisées car seule la répétition systématique des résultats permet de conclure de manière satisfaisante.

Principe n°12 :  créer, par fusion de diverses instances existantes, une Haute autorité de l’action sociale sur le modèle de la Haute-Autorité de santé

La création d’une Haute autorité de l’action sociale permettrait de flécher les financements nationaux (FAPI, FDMI, concours CNSA…) ou européens (FSE) vers des actions à l’efficacité prouvée ou tout du moins étayée par un faisceau d’indices concordants. Cette administration pourrait récupérer les moyens dispersés dans divers établissements et instances nationales.

Principe n°13 :  exploiter la donnée data dans un cadre éthique adapté au secteur social à des fins de prévention.

Les données doivent être au service de la transformation publique. Les réflexions et actions récentes relatives à l’utilisation des datasciences pour orienter l’action des pouvoirs publics, y compris dans le champ des politiques sociales, méritent d’être intensifiées. Cette évolution suppose une ouverture et un partage des données pour créer de la valeur sociale, développer la connaissance fine des réalités sociales et le repérage des populations les plus fragiles, pour mieux intervenir en prévention. A l’instar de la stratégie menée par certaines grandes villes nord-américaines, il s’agit de promouvoir le « data to action », l’exploitation des données dans le but d’adapter les modes d’intervention publics.    

Parcours des personnes et transformation de l’offre : sortir des logiques de « silos ».

Comment inciter les collaborations entre institutions pour la production d’offres spécifiques ?

La fluidité de parcours est un enjeu essentiel pour les usagers, leurs aidants et les professionnels. Mythe ou réalité d’un monde construit en silos ? Quelle place à l’agilité, l’adaptabilité centrée sur les besoins des personnes, des territoires? Comment améliorer notre offre collective, comment faire bouger les lignes ? Comment mieux s’inspirer des bonnes pratiques et les faire circuler ?

Source d’économies et de simplification, le numérique se déploie progressivement dans le champ social. On parle d’inclusion numérique. Mais comment se saisir des opportunités qu’il représente dans le respect des plus fragiles ?

Principe n°14 :  Accompagner les dynamiques visant la transparence de l’offre.

Le Département, ordonnateur et organisateur de l’offre de services et d’établissements sociaux et médico-sociaux avec l’ARS, a intérêt à la meilleure qualité de l’offre et au meilleur prix.

Disposer d’une plus grande visibilité sur les places vacantes, sur les coûts, pouvoir comparer d’un département à l’autre constituerait une avancée importante. Certains outils tels UGO et PEPS créés par des departements et rendus accessibles à tous y contribuent, mais il est nécessaire d’aller plus loin. 

Il s’agirait de disposer a minima à l’échelle départementale et régionale d’un répertoire dynamique des places vacantes par établissement médicosocial et d’une cartographie précise des prestations offertes, des tarifs et des appréciations des usagers et de leurs proches.

Les systèmes d’information partagés, ou portails, destinés à recenser l’offre d’accompagnement et services sur un territoire devraient être ainsi développés de manière concertée entre ARS et Départements. Leur déploiement doit faire l’objet d’une stratégie régionale commune au même titre que l’adoption des schémas et PRS.

Par ailleurs, il est possible de développer les plateformes interactives d’expression des usagers sur l’offre et les prestations dans le champ des solidarités sur un mode non stigmatisant (non nominatif) mais informatif pour les gestionnaires ou pilotes de l’offre. Cela permet de l’ajuster le cas échéant sur la forme ou le contenu aux besoins ou vécus des personnes.

Principe n°15 :  Renverser la charge de la preuve pour tout établissement disposant de places mais opposant un refus à un candidat ou service d’accompagnement.

La recherche d’un établissement d’accueil (et quel que soit l’environnement) est souvent un long parcours de prospections et de démarches infructueuses. Elle contraint à répéter x fois son histoire ou celle de la personne accompagnée (voire de passer x examens médicaux…).

Indépendamment des circuits d’orientation et d’admission créés localement, cette logique peut conduire au sentiment d’une personne (âgée, handicapée, enfance en danger) qui (se) proposerait et d’un établissement qui « disposerait » dans un marché  de l’offre très ouvert, en totale liberté d’appréciation.    Pourquoi ne pas exiger des établissements qu’ils  motivent systématiquement et explicitement le refus dans un document opposable ?

Principe n°16 :  Travailler d’égal à égal entre départements et ARS pour la production de l’offre médico-sociale, et particulièrement des offres spécifiques.

Les offres spécifiques doivent s’inspirer des bonnes pratiques repérables au niveau national, et économiquement plus intéressantes si coproduites.

Ces offres adaptées aux besoins et spécificités des territoires peuvent s’inscrire dans un cadre expérimental, ce qui suppose de reconnaitre aux ARS un droit de dérogation comme le prévoit le décret du 29 décembre 2017[5], qui pourrait être étendu au-delà des 4 ARS concernées à ce stade pour une durée de 2 ans.

Principe n°17 :  Assouplir les règles d’extension de capacités des établissements médico-sociaux.

Il conviendrait que le droit accordé aux ARS de dérogation aux règles initiales d’extensions mineures de capacité (au-delà des 30%) puisse être accordé aux départements dans le cadre de leurs compétences propres et aux structures co-tarifées. Un droit à la diversification de l’offre par ce type d’extension permettrait de coller au mieux aux besoins du territoire.

Une évaluation des impacts sur l’usage qui en serait fait s’avèrerait utile, notamment sur les critères de délais de réalisation, de coût final de la place créée (impact des coûts marginaux sur structure existante) et de souplesse dans la réponse apportée et son adaptabilité.

Principe n°18 :  Développer les procédures d’appel à manifestation d’intérêt et susciter ainsi la créativité des acteurs locaux.

Il s’agit par le biais de cette procédure souple d’inciter à l’expérimentation en concentrant des moyens sur des initiatives thématiques.

Une telle démarche suppose de renverser la logique de l’appel à projet en faisant en sorte que les collectivités et l’État se mettent à disposition des porteurs de projets dans le cadre d’incubateurs territoriaux ou de laboratoires d’innovation sociale, à la recherche de solutions novatrices.

Principe n°19 :  Développer les démarches de responsabilisation des acteurs locaux dans le champ social en s’inspirant du modèle de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie.  

Cette logique de responsabilisation dans le pilotage et la conduite de l’action publique par les collectivités et leurs opérateurs constituerait un des moyens de surmonter les tensions inhérentes entre « l’émancipation » nécessaire des collectivités par rapport à l’intervention de l’État, et la dépendance croissante de celles-ci aux dispositifs pilotés et calibrés nationalement.

De la sorte, à l’image du FAPI ou des « conférences de financeurs » piloté par la CNSA,  les collectivités retrouveraient capacité à  s’organiser pour mobiliser leurs acteurs et opérateurs de terrain. À partir d’objectifs et de programmes financés par l’État, il sera tenu compte des spécificités territoriales et du diagnostic posé par les acteurs de proximité (collectivités, associations, usagers…).

Principe n°20 :  Sanctuariser dans le cadre du Pacte financier État collectivités les crédits mobilisés par les collectivités-opérateurs de programmes impulsés par l’État.

Le périmètre du pacte financier État-Collectivités (loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022) doit pouvoir tenir compte à la fois des dépenses spécifiques liées à des compétences transférées, mais également des dépenses mobilisées par les collectivités pour mettre en œuvre des politiques nouvelles impulsées par l’ État, comme c’est le cas en matière de prévention de la perte d’autonomie ou de plans nationaux. (13/9/2018 : plan national de lutte contre la Pauvreté des enfants et des jeunes par exemple)

Ces neutralisations auraient une valeur incitative pour les collectivités dont la trajectoire budgétaire ne sera évaluée qu’à l’aune du respect de la seule trajectoire de dépense.

Principe n°21 :  Aller vers l’universalité du référent de parcours en intégrant les politiques du handicap et du soin et en privilégiant l’autonomie de la personne.

Cette fonction doit être conçue en articulation avec les dispositifs de coordination existants (coordinateur de parcours dans le médico-social notamment). Dans le respect des droits de la personne, limiter le nombre de ses possibles référents éducatifs, sociaux et de santé. Organiser son parcours social avec le maximum de cohérence en évitant le cabotage entre les nombreux guichets, et parfois les errances sans fin. Cela peut passer par une réflexion sur les SI des collectivités et peut-être sur l’évolution de la domiciliation.

Une telle évolution implique de reconnaître le nouveau rôle joué par l’intervenant social comme personne ressource et facilitatrice (à travers par exemple un dispositif d’accréditation des compétences).

Principe n°22 :  Faire du pilotage de la médiation numérique un enjeu essentiel dans l’accessibilité aux droits et services.

Ces démarches supposent de repenser l’accès aux services numériques, en s’inspirant par exemple des travaux du Laboratoire numérique et inclusion de l’Agence nationale des solidarités actives. Ils proposent de repenser l’ergonomie des sites et de généraliser l’entrée usagers au travers de leur profil et de leurs besoins.

La médiation numérique constitue un défi en termes d’évolution des pratiques des professionnels du travail social qu’il convient d’accompagner. 

Mobilisation citoyenne et participation des usagers.

La participation des personnes à la vie des services, ainsi qu’à la définition des politiques publiques qui les concernent, est un impératif démocratique. Elle est aussi la condition de l’efficacité et de la pertinence des actions. Le développement de la participation citoyenne, de la mobilisation de la société civile, constitue un enjeu de plus en plus prégnant dans le cadre de la définition, de la mise en œuvre et de l’évaluation des politiques sociales.

Les seniors sont une ressource de compétences et de disponibilité insuffisamment mobilisée. Ils sont à la fois acteurs et bénéficiaires, selon la génération concernée, des politiques d’inclusion active, par leur expérience, leur temps disponible, mais aussi par les effets du vieillissement sur leur propre autonomie.  Le secteur public professionnalise parfois à tort ce qui pourrait être articulé entre bénévoles et professionnels. Réfléchir à d’autres formes d’engagements sur d’autres supports, proches de l’idée du Service Civique, à une  valorisation incitative de l’activité bénévole, à un mode de gestion plus affiné des potentialités et des savoir-faire sur un territoire, paradoxalement à une gestion voire une acception plus « professionnelle » du bénévolat.

Le déploiement de ces principes, qui tranchent avec des constructions historiques spécifiques (institutionnelles et associatives de l’action sociale)  mais souvent fondées sur une conception des rôles et logiques d’intervention différentes exigeront des collectivités et de leurs services sociaux, souvent mobilisés par l’urgence et des tâches envahissantes un grand voire très grand pas de côté. Peut-être par l’émergence de nouveaux métiers.

Comment favoriser l’expression des personnes prises en charge ? Quelles compétences développer pour réapprendre à donner son avis ? Quelles innovations promouvoir pour diversifier les modes d’expression autres ? Quelle place au champ culturel, sportif ? Que peut apporter le numérique et les réseaux sociaux ?

Principe n°23 : Développer les différents modes de participation des citoyens et usagers à la définition et à l’évaluation des politiques sociales, que ce soit dans le cadre de l’accompagnement individuel, de l’accompagnement collectif ou dans la dimension institutionnelle de la participation des personnes.

Renouveler la participation des usagers-citoyens suppose d’aller au-delà du formalisme imposé par les instances de démocratie sociale ou médico-sociale, en encourageant les approches de type design des politiques publiques.

Une telle approche, qui intègre le savoir d’usage, viserait à concevoir les modes de prises en charge, les réponses du service public (social ou médico-social) en fonction du parcours de l’usager et de leur expertise du quotidien.

Principe n°24 :    Diversifier les modes d’appropriation des politiques publiques par les citoyens grâce à des méthodes apprenantes (débats publics sur les politiques sociales, parcours citoyens).

Développer la notion de « faire avec ». Si les Françaises et les Français se sont habitués à vivre dans un État qui s’occupe des plus vulnérables et potentiellement d’eux et de leurs proches en cas de coup dur, la communication publique sur le champ social n’est pas aisée et la réceptivité par le public n’est pas non plus acquise. Les relais médiatiques sur le poids du social, la récurrence des caricatures de fraudeurs ou d’abus aux minimas sociaux, viennent trop souvent conforter une opinion prompte à fustiger le bien public au profit de systèmes bénéficiant à la majorité de ceux qui pourraient s’en passer.

Diversifier les méthodes de communication publique dans le but d’une appropriation du champ social par l’action ou par « l’aller vers » ou encore le « faire avec » est indispensable. Créer du débat social avec les citoyens, développer des parcours terrain pour aller à la rencontre des initiatives solidaires sur le modèle des parcours découverte d’entreprises locales ou d’innovations culturelles. Là encore, de nouveaux métiers doivent etre imaginés ou empruntés aux  sphères professionnelles de la communication inter active, de l’innovation, de la participation.

Principe n°25 :    Favoriser le développement de plateformes d’engagement citoyen.

Le développement de ces plateformes pourrait se décliner selon deux modalités :

  • Un mode contributif qui consisterait à rapprocher l’offre associative des bénévoles, citoyens souhaitant s’engager ;
  • Un mode participatif permettant de recueillir les propositions et initiatives menées par des citoyens, ou collectif associatif, souhaitant partager leurs expériences et innovations.

Principe n°26 :    Reconnaître et valoriser l’engagement citoyen.

La mise en œuvre de ce principe pourrait prendre la forme, à travers le compte d’engagement citoyen, d’un droit à la contribution citoyenne dans une association du champ social, qui donnerait accès à des parcours qualifiant et professionnel.

Principe n°27 :    Intégrer une dimension inclusive réelle dans la conception et la mise en œuvre des politiques d’action sociale. 

Il s’agit, dans une approche pragmatique d’investissement social qui doit dépasser le simple discours sur l’inclusion, de considérer l’ensemble des dimensions de l’accompagnement de la personne, et notamment des personnes les plus fragiles, et la diversité des solutions.

Cette diversité nécessite de construire des passerelles entre institutions et requestionne la fonction des etablissements médico-sociaux dans leur environnement de proximitéEn quoi sont-ils inclusifs ? comment pourraient –ils l’être plus ?

Principe n°28 :    Agir davantage en prévention et valoriser l’investissement social.

Loin de relever d’une approche autonome, les politiques de prévention dans le secteur social doivent être clairement articulées avec les autres politiques locales du champ éducatif, sanitaire, urbain et de développement social territorial.

Les initiatives dans le champ de la prévention renvoient à la notion de coûts évités et d’investissement social en agissant en amont sur les risques ou les facteurs de risques. La prévention est la partie sacrifiée des politiques de rationalisation budgétaire (insertion, aide sociale à l’enfance, santé..) car la moins visible, la moins urgente en apparence et la plus difficilement évaluable.

Conduire des évaluations rigoureuses avec accompagnement scientifique sur les coûts évités grâce aux actions de prévention (suivi de cohortes, simulation de parcours…).


[1] Selon un sondage IFOP d’octobre 2015 sur la fiscalité, 82% des personnes interrogées considèrent que le niveau des impôts dont ils s’acquittent exerce un impact sur leur consommation et, par voie de conséquence, sur l’emploi.

[2] IGTD 2017 et suiv. travaux conduits par le département R&D de l’IGTD

[3] Dans cet esprit, à travers l’ouvrage « vers une sobriété heureuse »[3], Pierre Rabhi a initié un mouvement représenté par l’association Les Colibris et dont la feuille de route consista en 50 « grandes directions à 50 ans » pour que la politique soit guidée par les préoccupations de long terme de la société civile. Il faut noter que les maîtres mots de cette feuille de route furent : décentralisation et sobriété !

[4] Le prix Pritzker d’architecture (en anglais) est un prix d’architecture annuel décerné par un jury indépendant depuis 1979. Il est considéré comme le « prix Nobel d’architecture »

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2017/12/29/SSAZ1731677D/jo/texte

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